Je me revois dans cette vaste pièce sombre uniquement éclairée par un puits de lumière. Le mois de juillet à Pondichéry nous faisait goûter de sa moiteur. Dans la pénombre derrière nous trônaient d’imposants portraits de Mère et de Sri Aurobindo. Au dehors l’éternelle symphonie des klaxons nous obligeait à tendre l’oreille pour saisir les paroles de notre enseignant malgré la paresse collective de ce début d’après-midi. Nous étions assises autour d’Ajit, ayant choisi notre place selon l’angle d’action des ventilateurs. Le thème du jour était le Karma Yoga, yoga de l’action, des œuvres, du travail. Ajit Sarkar posa ces mots tous simples : « le karma yoga c’est agir uniquement pour la joie de la faire. Sans autre intérêt que cela. Pour la joie. »

D’autres dirons qu’il s’agit d’offrir son action au Divin pour s’unir à lui (ce que signifie le mot Yoga). La Bhâgavat Gita présente cette voie du yoga : « Tu as le droit à l’action, mais seulement à l’action et jamais à ses fruits ; que les fruits de ton action ne soient point ton mobile. »« Fais toutes les actions pour l’amour du Moi », « Quoi que tu fasses, fais en une offrande à Moi » disait Krishna à Arjuna.

Lors de cette période de confinement, j’ai pu observer le jeu du mérite dans la motivation de mes actions et réaliser à quel point il est un levier omniprésent de notre société : Un repos bien mérité, des vacances bien méritées, ça mérite une médaille, une claque bien méritée, ça ne mérite pas mon attention,…
Au fur et à mesure des jours je voyais l’absurdité du concept de mérite se faire évidente. Comment le repos, la paix pouvaient-ils se mériter ? Comment le repos pouvait-il être payant alors qu’en ces temps d’épidémie il était totalement gratuit ? Quel principe de déculpabilisation pouvait nous faire croire que la violence peut être justifiée ?
Utiliser le mérite comme principe collectif permet tellement d’abus. Serions-nous aussi dociles sans le mérite ? Accepterions-nous des emplois qui nous ennuient, des horaires qui ne suivent pas nos rythmes naturels ?
Que ferions-nous s’il n’y avait rien à obtenir de nos actions, ni reconnaissance, ni pouvoir, ni appréciation, ni argent,…?
Que se passerait-il si nous écoutions la voix de notre Krishna bien aimé chuchoter à notre oreille avant toute action ?
C’est entre autre ce que nous propose la communication non violente en prêtant attention à l’intention et à notre besoin universel avant d’entrer en communication et d’agir.

Je remarque que je crois particulièrement mériter quelques chose (reconnaissance, argent, repos,…) quand je réalise un travail au-delà de mon envie, de mes limites, lorsque je n’écoute plus la douce voix de Krishna qui même parfois m’hurle « Arrête !! ».

J’ai pu observer que sans échéances, sans certitudes sur le futur, sans contraintes horaires, je ne fais pas rien. Bien au contraire, j’ai le temps d’accueillir les remous et les tempêtes émotionnelles, je m’émerveille devant la magnificence de la nature, l’humour est présent, l’inspiration a le temps de se transformer en créativité, je me laisser aimer, il est plus facile d’aimer qui je suis, je célèbre et remercie ce qui m’entoure, je rentre en intimité avec moi-même, j’ai de la joie à partager, à contribuer, j’œuvre pour la beauté que ce soit en donnant un cours en ligne, dans mes pratiques de yoga, dans le relation de couple ou en faisant les comptes.
N’est-ce pas laisser la place au Divin que d’être assez tranquille pour aimer et accueillir dans un espace témoin ce qui est vécu et dans ce relâchement laisser l’amour, l’humour, la beauté, la joie, la compassion s’exprimer.

Je n’en ai aucun mérite, je n’ai rien fait pour cela, Cela s’est fait.

Et si nous y regardons de plus près, est-il seulement possible de s’attribuer aucun mérite ?
Byron Katie raconte que nous prenons notre tasse de thé, nous buvons le thé, nous reposons notre tasse et nous nous en attribuons le mérite et qu’il en va de même pour toutes nos actions. Est-ce nous qui agissons ou est-ce que le Divin agit à travers nous ? Pour la plupart d’entre nous, nous croyons être responsables de nos actions et même de nos pensées et de nos émotions. Avons-nous réellement décidé de prendre cette tasse de thé, de la boire et de la reposer ? Qui à envoyer l’information ? Qui a commandité la mission ? Certes nous sommes soumis à un ensemble de mécanismes et d’habitues de notre Nature humaine mais derrière cela il y a pour moi une autre chose qui consent et agit par le biais de cette Nature. Agir en conscience d’être agit par Cela est la proposition du Karma Yoga.